L'influence du sexe des cinéastes sur la représentation des hommes et des femmes dans le cinéma québécois récent
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Introduction
Depuis quelques années, plusieurs recherches ont attiré l’attention sur la marginalisation persistante des réalisatrices, particulièrement dans le secteur du long métrage de fiction. Les étudiantes et les étudiants occupent en proportions presque égales les bancs des écoles de cinéma, mais à ce jour les réalisatrices obtiennent toujours moins de 15 % des budgets accordés par la SODEC (long métrage, secteur privé) et par Téléfilm Canada (Garneau, Descarries et Réalisatrices Équitables, 2008 ; Lupien, L. 2013). Malheureusement, la situation ne s’est guère améliorée depuis vingt ans. L’étude Encore pionnières (Lupien et Descarries, 2011), en décortiquant les sources de l’exclusion des réalisatrices, a démontré qu’il s’agit d’un problème systémique, résultat de l’action combinée des dynamiques qui régissent les rapports hommes/femmes dans la société québécoise en général et de certains mécanismes de fonctionnement de l’industrie cinématographique.
Cette situation ne touche pas que les réalisatrices. En effet, le public en général se voit privé de leurs histoires, rarement données à voir sur nos grands écrans. Ainsi, d’un film à l’autre, les images d’hommes et de femmes qui s’ajoutent à notre imaginaire collectif ont majoritairement été créées par des hommes et les visions du monde des réalisatrices occupent un espace limité.
Les représentations médiatiques des hommes et des femmes ont fait l’objet de nombreuses études et leur impact sur les rapports entre les sexes et sur la place des femmes dans la société est bien documenté. Ce sujet d’actualité a d’ailleurs été au cœur de deux avis du Conseil du statut de la femme publiés ces dernières années (2008 et 2010). Les représentations médiatiques participent au façonnement de notre rapport au monde et contribuent à déterminer les rapports sociaux qui se construisent, non seulement sur la base des structures sociales matérielles (l’organisation du monde du travail, de la famille, des institutions politiques, etc.), mais encore à travers les structures symboliques et culturelles. Ces représentations des hommes et des femmes concourent à construire et à renforcer les normes sociales. Elles participent également à la délimitation du champ des possibles envisagés par les individus au moment de faire les choix touchant différents aspects de leur vie personnelle, professionnelle et familiale.
Plusieurs recherches du Geena Davis Institute on Gender in Media ont scruté quantité de productions médiatiques audiovisuelles et mis en lumière les stéréotypes véhiculés par l’industrie du divertissement et par le cinéma états-uniens. Les recherches instiguées par cet institut californien démontrent plusieurs déséquilibres majeurs dans les représentations des hommes et des femmes et dénoncent les iniquités qu’elles perpétuent. Dans les films sélectionnés aux Oscars entre 2007 et 2010, parmi 1425 personnages parlants, seulement 33 % sont des femmes (Smith, Choueiti, Gall, 2012). La répartition des rôles est encore plus déséquilibrée dans les films états-uniens destinés à un public familial diffusés en salles entre 2006 et 2009, où seulement 30 % des personnages parlants sont des femmes. Ces dernières y étaient par ailleurs représentées partiellement nues, sexy et physiquement attrayantes de 3 à 6 fois plus souvent que leurs interlocuteurs masculins (Smith et Choueiti, 2012). Ces recherches confirment également que la sous-représentation des femmes à l’écran et la présence de personnages féminins stéréotypés tendent à diminuer lorsque la proportion de femmes derrière la caméra – réalisatrices, scénaristes, productrices – augmente. . Dans les films destinés à un public familial, lorsque les cinéastes sont des femmes, les personnages féminins passent de 29 % à 35 % (Smith et Choueiti, 2012). La proportion de femmes à la scénarisation fait également augmenter la présence des femmes à l’écran : les scénaristes femmes créent 36 % de personnages féminins, alors que les hommes n’en créent que 26 %.
Au Québec, aucune recherche d’une telle envergure ne s’était jusqu’à maintenant penchée sur les représentations des hommes et des femmes véhiculées par notre cinéma de fiction et sur la manière dont ces représentations sont influencées par le sexe des cinéastes. À notre tour, nous avons voulu interroger les conséquences de la marginalisation des réalisatrices sur le contenu de notre cinématographie nationale. Les films des hommes et des femmes nous racontent-ils les mêmes histoires? Dans quelle proportion les personnages d’hommes et de femmes sont-ils présents dans les films des uns et des autres? Les réalisateurs et réalisatrices nous proposent-ils des modèles de personnages masculins et féminins différents? Collectivement, que gagnerons-nous lorsque les réalisatrices occuperont leur juste place derrière la caméra?
-> Consultez l'étude (PDF)