Avec et sans clic : les tics
Devant le rayonnement et l’avancée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC), que certains ont été jusqu’à qualifier d’envahissantes dans toutes les sphères de la vie, les groupes agissent depuis longtemps pour éviter ou tout au moins réduire la fracture numérique potentielle ou actuelle à laquelle font face les personnes peu alphabétisées1. Ils ont acquis des habiletés dans l’enseignement de l’informatique, grâce à des stratégies dynamiques et adaptées aux références et aux réalités des personnes participantes. Comme ailleurs, par un large éventail de réponses, ils ont soutenu et soutiennent toujours l’apprivoisement de ces technologies par les participantes et les participants.
Citons d’abord les activités les plus répandues :
Intégration de l’informatique aux ateliers réguliers d’apprentissage du code écrit et des mathématiques; atelier de démythification de l’informatique et d’initiation à l’informatique; atelier de traitement de texte, de navigation sur Internet, de messagerie, de recherche sur le Web, de bavardage électronique; atelier thématique avec appui des TIC; café Internet; pratique d’utilisation des sites de jeux de français ou de mathématiques; laboratoire informatique accessible aux personnes participantes et même aux résidantes et résidants de la municipalité; création d’outils adaptés aux personnes participantes; élaboration de matériel imagé et facile à comprendre pour des personnes en démarche d’alphabétisation; etc.
Il existe aussi beaucoup d’initiatives et de projets particuliers en lien avec les TIC, tels que : photo-roman (de l’écriture du scénario jusqu’à la mise en page et au graphisme avec les logiciels appropriés); création d’un journal; création d’un calendrier-agenda; production d’un répertoire de sites accessibles aux personnes peu alphabétisées et intéressants pour elles; création et développement de sites, de logiciels, etc.
Enfin, quelques activités sont moins usuelles : Braille-informatique, soit l’adaptation des ateliers d'initiation à l'ordinateur pour les personnes ayant un handicap visuel (projet expérimental); enseignement de l'informatique aux personnes âgées et aux familles; participation à des études sur la question; mise en ligne d’une cinquantaine de formations (formations à distance) avec le soutien de tuteurs; etc.
Cette énumération partielle des activités en informatique organisées dans les groupes témoigne de la lucidité des personnes qui œuvrent en alphabétisation et de leur capacité d’adaptation et de réaction. La réalité et le risque grandissant de la fracture numérique ont été envisagés et pris en compte. « Si on n’est pas là, les personnes participantes vont être exclues de ce moyen important de communication », et donc de l’accès à l’emploi, à la culture, à la vie sociale, etc. De plus, dans les groupes, on a rapidement perçu qu’à l’instar des progrès en apprentissage de l’écrit (lecture, écriture), l’acquisition d’habiletés en informatique nécessite un soutien important qui peut prendre différentes formes.
1 Déjà en 1989, à la suite d’une période d’expérimentation, Lettres en main et des collaborateurs produisaient Touches et retouches : guide d'utilisation du traitement de texte en alphabétisation, écrit par Manon Dubreuil et Gilles Landry.
Pour illustrer le tout, présentons une initiative particulièrement intéressante proposée par CLÉ Montréal : la mise en place d’une ordinothèque. Il s’agit d’un système de prêt d’ordinateur, avec du soutien et des outils adaptés. L’organisme possède une flotte de 20 portables qui sont prêtés aux personnes participantes, aînées ou jeunes, et offre la connexion à Internet. Les personnes participantes peuvent, dans le laboratoire installé dans les locaux ou à distance, expérimenter des activités informatiques itinérantes. Toutes ont donc le même environnement et toutes le connaissent. Si une personne participante est coincée chez elle, elle peut appeler au centre et il est alors facile de l’aider. De plus, l’organisme a répertorié et produit des activités d'apprentissage et des animations citoyennes à distance. Il a créé et mis en ligne des sites créés pour et avec les personnes participantes. Celles-ci ont leur blogue (elles ont rédigé des articles et procédé aux montages visuels), qu’il est d’ailleurs possible de visiter. Il est à noter que CLÉ Montréal a mis sur pied d’autres moyens de soutenir l’appropriation des TIC, dont une grille d'évaluation de sites Web en fonction d'un usage par des personnes analphabètes ou peu scolarisées. Par ces moyens et cette façon de faire, la grande majorité des personnes participantes incluses dans ce projet est devenue réellement autonome.
Pour plusieurs groupes tels que La Cité des Mots de Shawinigan, l’informatique est une source importante de motivation chez les personnes participantes, une source qui permet la poursuite de l’apprentissage à plusieurs égards. L’organisme a su encourager avec créativité cet intérêt pour les TIC, dont la production par les personnes participantes de présentations PowerPoint, de cahiers de recettes, de récits de vie, etc. Pour certains groupes, l’informatique, en plus de permettre de nombreuses activités de formation, est devenue, grâce à son pouvoir d’attraction, un outil de promotion et de recrutement pour les autres activités offertes.
À l’inverse, soulignons que plusieurs groupes ont rencontré des difficultés dans ce domaine. Des centres ont en effet été fort insatisfaits des résultats après avoir offert plusieurs séances de formation en informatique. Une des causes de cette insatisfaction est le trop bas niveau d’alphabétisme de leurs participantes et participants, mais surtout la complexité de nombreux sites, qui les rend inaccessibles aux personnes très faiblement alphabétisées. Dans le pire des cas, certaines personnes, comme quelques personnes âgées par exemple, ne profiteront des activités et de la pratique de l’informatique que pour démythifier les TIC, sans s’en servir réellement. Mais, même si ce n’était que cela, elles se sentiront peut-être plus incluses dans « leur monde ». Pour poursuivre l’enseignement des TIC et surmonter les divers obstacles rencontrés, il a fallu dans bien des cas, comme dans bien d’autres situations d’ailleurs, procéder par essais, en apportant des modifications aux façons de faire et en consultant d’autres personnes afin de trouver des formules qui convenaient aux besoins et aux champs d’intérêt non seulement des personnes participantes, mais des travailleurs également. Parmi celles-ci, citons Le journal Alpha monde.
Alpha monde est un site Internet ouvert à toutes les personnes en apprentissage de l’écrit dans un centre d’alphabétisation populaire. Il suffit de s’y inscrire pour s’y exprimer, apprendre et échanger avec d'autres personnes du Québec et d’ailleurs dans le monde. Il est facile d’accès et attrayant. On y trouve des témoignages, des activités, des jeux et des textes informatifs sur divers sujets. Né en 2003 à l’initiative du Tour de lire, Alpha monde a été créé en réponse à la demande de personnes participantes qui désiraient sortir du centre, partager leur expérience, être lues par d’autres et en savoir davantage sur les autres groupes. Elles ont eu l’idée d’un site interactif. À la suite de la recherche de financement et de la mise sur pied d’un comité de participantes et de participants venant de divers groupes pour penser les contours de ce journal Web, il a été mis en ligne, au grand plaisir de nombreux participantes et participants, et il existe toujours, neuf ans plus tard.
La Radio des mots sera le dernier exemple présenté sur le thème des nouvelles technologies. Le jeune et dynamique organisme Les bouts de papiers de la Haute-Gaspésie, né en 2006, a mis sur pied un projet assez inusité : une radio sur le Web consacrée à l’alphabétisation et aux apprentissages de la vie. « La parole est le meilleur outil de communications pour toutes les personnes qui éprouvent de la difficulté à lire et écrire. La radio est transporteur de paroles. Nous dédions la radio de notre site Internet à toutes les personnes qui ont vécu, au moins une fois dans leur vie, des difficultés de communications », soulignent les travailleuses et travailleurs de ce centre. Sont inscrits à la programmation des capsules informatives et formatives, des entrevues, des petites annonces, des jeux, de la lecture de contes et enfin, de la musique. La radio fonctionne entièrement grâce à l’engagement de personnes bénévoles, non professionnelles en la matière. Cette radio est définie comme suit : « Une radio produite par des gens du milieu pour les gens du milieu. »
Dans une large étude sur les TIC et les personnes peu alphabétisées déjà citée en première partie de cette revue 2, on propose des solutions concrètes à cette question. Au cœur des solutions envisagées pour l’inclusion numérique des personnes peu alphabétisées se trouve l’apprentissage, et l’on assure que les groupes d’alphabétisation populaire sont les mieux placés pour former les personnes peu alphabétisées et soutenir l’acquisition de compétences nécessaires à l'utilisation de l’informatique et d’autres technologies de l’information. Si de nombreux résultats sont probants et encourageants, les groupes n’ont pas les moyens d’agir largement dans ce domaine. Il faut savoir de plus que certaines personnes n’ont pas les capacités nécessaires pour devenir autonomes dans l’utilisation de ces outils et que d’autres le deviendront avec du temps, des efforts et du soutien. Le risque de reléguer tout un pan de la population à l’écart constitue une possibilité bien réelle. Il y a certes des batailles à mener sur ce terrain, dont la défense du droit à l’information et du droit à des services gouvernementaux offerts pour tous. Devant « l’envahissement » des nouvelles technologies dans tous les domaines de la vie humaine, on perçoit deux axes de solutions, soit de soutenir largement une formation adéquate en la matière, à l’aide de moyens appropriés, et, dans une même mesure, de garder des espaces non numériques où l’information et les services restent accessibles 3
2 Équipe de recherche Communautique, INTEGRA-Littératie Québec, L'apprentissage au cœur des TIC : un portrait de l'inclusion numérique des personnes à faible littératie au Québec, janvier 2012.
3 Toujours sur le thème de l’informatique et des nouvelles technologies, voir les articles suivants : Julie CRÊTE, « Être en cont@ct », Le Monde alphabétique, 2008; Lorraine ROY, « Apprivoiser l’informatique en milieu populaire », Le Monde alphabétique, 2002; Agathe KISSEL, « Une formation de base en informatique au Tour de lire », Le Monde alphabétique, 2002.