Estomac et coeur encaissent: nourriture et santé

Estomac et coeur encaissent: nourriture et santé

2012

L’alimentation fait partie des besoins essentiels, comme on le sait. La qualité, le choix et la quantité de la nourriture ont une incidence directe sur la santé physique et mentale, en raison des nutriments eux-mêmes ainsi que du rapport affectif et culturel entretenu avec la nourriture.

LA NOURRITURE IL Y A 30 ANS

Il est complexe dans le présent cadre de dresser un portrait détaillé des conditions alimentaires et de santé des personnes peu alphabétisées en 1981. Nous rapportons ici des propos tenus par les personnes directement touchées par la question : des participantes et des participants rencontrés en entrevue pour l’élaboration de la présente revue.

En général, les repas étaient simples. Il y avait moins de variété et plus de produits locaux. Dans plusieurs régions, l’approvisionnement était assuré par des camions de distribution pour les denrées comme le pain, le lait, le poisson, etc. Il y avait un assez grand nombre de petites épiceries de quartier ou de village. On avait accès au petit crédit. Les réductions étaient assez avantageuses. Les commerçants offraient au rabais les surplus moins frais. À cet égard, soulignons qu’il y avait un peu moins de réglementations qu’on peut en avoir aujourd’hui. Les gens confectionnaient le plus souvent les repas, faisaient des conserves et détenaient des connaissances et un savoir-faire dans ce domaine. Les connaissances se transmettaient d’ailleurs pour la plupart de mère en fille. Certains participantes et participants affirment que « la nourriture était meilleure avant, moins artificielle. Les mères faisaient à manger, c’était des plats cuisinés maison ». Une participante de Nicolet ajoute qu’il y avait peu d’aide alimentaire à l’époque, seulement quelques organismes de charité et certains CLSC qui offraient les couches et du lait pour les parents dans le besoin. Dans Lanaudière, on se rappelle que dans les années 1980, il y avait des soupes populaires seulement dans les grandes villes; c’est à partir de 1982 qu’elles sont apparues dans cette région, et un peu plus tard sont arrivés les petits-déjeuners.

Photo: Atout-lire

LA NOURRITURE ET LA SANTÉ AUJOURD’HUI

Dans les 30 dernières années, on a assisté à une détérioration continue des conditions alimentaires des personnes en situation de pauvreté : l’alimentation coûte plus cher, comme tous les produits de base, qui subissent une hausse importante; les revenus de cette partie de la population baissent; les savoirs en cuisine ne se transmettent plus ou se communiquent moins entre les générations, dans les milieux populaires notamment. Contrairement au loyer, la nourriture est une partie compressible des dépenses. Alors, lorsque cela est nécessaire, les personnes à faible revenu coupent dans ce poste. Elles choisissent les aliments les plus abordables, souvent donc le « fast food ».   

Parmi les autres facteurs qui influent sur l’accès à la nourriture, soulignons la mise en place des grandes surfaces, qui amène la fin de l’épicerie de quartier ou de village. Ce facteur a été mentionné dans plusieurs régions : Matane, Joliette, Berthierville, Montréal, etc. Cela signifie qu’il faut alors utiliser les transports pour se rendre à l’épicerie, ce qui représente des frais supplémentaires. Les personnes qui se déplacent difficilement se rendent aux endroits accessibles, souvent des dépanneurs, où la nourriture est plus chère et de moindre qualité. Une des solutions trouvées par les personnes à faible revenu est de s’approvisionner largement dans les commerces à 1 $, tels Dollarama, Tigre géant et autres magasins du même type pour se procurer de la nourriture en conserve.

S’ajoutent d’autres barrières aux choix alimentaires pour les personnes peu alphabétisées : la difficulté de lire des recettes et surtout celle de lire les étiquettes parfois fort complexes.

Les travailleuses et travailleurs en alphabétisation assistent de plus en plus à la sinistre réalité de personnes participantes qui sautent des repas par manque de moyens. Et ils ne sont pas seuls : près de deux millions et demi de Canadiennes et de Canadiens éprouvent de la difficulté à mettre de la nourriture sur la table1. Comme le disait un participant en colère :

« C’est l’enfer l’épicerie, c’est vraiment plus cher qu’avant. On choisit le moins cher, ça fait que des fois, c’est de la cochonnerie. Pis quand on peut même pas se payer un peu d’épicerie, on va dans les refuges. »  


En 2011, il y a un accroissement de la fréquentation des ressources de dépannage alimentaire parce qu’il y a davantage de pauvreté qu’auparavant. Les résultats de l’enquête Bilan-Faim 2011 2 démontrent une augmentation de 22 % de 2008 à 2011 des demandes d’aide alimentaire au Québec.  

La mode de la santé et de la bonne alimentation transmise dans les médias, qui constitue une bonne chose en soi, peut cependant contribuer à un sentiment d’incapacité et d’exclusion en la matière. Ça ne valorise pas les compétences des gens, ça ne soutient pas les personnes avec un faible revenu à gagner en autonomie ni en possibilités d’acquérir des denrées.

Dans les groupes, on constate de plus en plus les effets qu’entraîne l’exclusion sur la santé des gens, et ce, à plus d’un titre. Les problèmes de santé mentale et physique vont en augmentant chez les personnes participantes,

« les conditions de vie difficiles, la précarité alimentaire, certaines habitudes de vie néfastes et le stress chronique provoqué par la pauvreté ont un impact majeur sur leur santé 3 ».

De plus, les personnes « éprouvant des difficultés en lecture et en écriture rencontrent énormément d’obstacles quand elles désirent prendre en charge leurs conditions de santé », dont les problèmes de communication avec le personnel du système de la santé4. Les médecins passent en moyenne maintenant quatre fois moins de temps avec chaque patiente et patient qu’ils ne l’ont déjà fait5. De plus, on renvoie ceux-ci à des sites Internet lorsqu’ils veulent davantage d’information au sujet de leurs traitements ou de leur problème de santé. Souvent, les personnes préfèrent ne pas révéler leur analphabétisme et elles n’ont pas toujours accès à Internet. Elles se trouvent donc désemparées ou dépassées devant leur état et les soins dont elles ont besoin.

3 Élise DE COSTER, « Mieux vaut être riche et en santé », Le Monde alphabétique, No 20, printemps 2009, p. 28.

4 Ibid.

5 Étienne Edmond PLAMONDON, Le virage numérique, “qu’est-ce que ça veut dire” », Le Devoir, 8 septembre 2011.