Les TIC envahissent
En 1981, le monde des technologies de l’information et des communications (TIC) était assez sommaire. Pour la population en général, il s’agissait des premiers balbutiements de l’informatique. La téléphonie se résumait quant à elle au téléphone conventionnel ou, pour de très rares personnes, à un téléphone cellulaire, qui coûtait d’ailleurs une fortune. Depuis, les innovations technologiques ont transformé en profondeur notre paysage. Des inventions qui se déclinent sous de multiples formes arrivent à une vitesse « grand V » sur le marché : nouveaux logiciels, nouvelles applications, nouveaux appareils de télécommunication (GPS, téléphone intelligent, iPad, etc.). Toutes les sphères de l’activité humaine sont touchées par ces nouveautés : le monde de l’emploi, la vie sociale et citoyenne, l’accès à l’information, l’accès aux services, etc. Des travailleuses en alphabétisation vont jusqu’à qualifier d’envahissante la place que prennent les nouvelles technologies : « Tout est en ligne maintenant. » « Dans les médias traditionnels, radio, télévision, journaux, on y fait sans arrêt référence. » Pour donner une idée de l’évolution et de l’ampleur du rayonnement de ces technologies, voici quelques données :
DANS LE MONDE
1984 : 1 millier d’ordinateurs étaient connectés sur Internet1.
2000 : 250 millions d'utilisateurs d'Internet.
2010 : 2,08 milliards d'utilisateurs d'Internet, soit plus d'un habitant de la planète sur trois.
AU QUÉBEC
2000 : le pourcentage de la population qui utilise Internet est de 40 %.
2011 : ce pourcentage est passé à 78,5 %2.
Ces chiffres reflètent l’importance croissante de l’utilisation des TIC et, par conséquent, des enjeux d’inclusion ou d’exclusion qu’elles tendent à entraîner :
« La maîtrise minimale des TIC est de plus en plus considérée comme faisant partie des compétences de base, étant nécessaire à l’accomplissement de multiples activités et tâches de la vie quotidienne en plus de servir à l’acquisition d’autres compétences 3. »
Devant l’ampleur et le rayonnement de l’utilisation de ces outils, « un accès inégal à ces technologies risque d’accentuer davantage les écarts sociaux plutôt que de les atténuer» 4, de stigmatiser et d’exclure une partie de la population. Sous cet angle, l’inclusion numérique peut devenir une question sociale d’accès à tous les aspects de la vie en société, à moins de préserver des espaces non numériques et de choisir ainsi le respect des personnes qui n’y ont pas accès.
LES PERSONNES EXCLUES DE L’UNIVERS NUMÉRIQUE
Les personnes exclues de l’univers numérique sont :
- les personnes âgées;
- les personnes à faible revenu;
- les personnes faiblement scolarisées 5.
LES OBSTACLES À L’INCLUSION NUMÉRIQUE
La part de l’écrit et du design
Tout d’abord, malgré que se trouvent sur le Web d’abondantes illustrations et photos, la part de l’écrit reste très importante. Le design des sites, les caractères utilisés, le langage souvent abstrait et complexe ainsi que les changements constants en font des univers réellement et concrètement éloignés de la réalité, de la culture et des moyens des personnes peu alphabétisées.
Éléments biographiques
D’autres freins nuisent à l’inclusion numérique, selon les auteurs de l’étude intitulée L'apprentissage au cœur des TIC : un portrait de l'inclusion numérique des personnes à faible littératie au Québec. Des « barrières […] sociales, éducatives et psychologiques témoignent d’inégalités préexistantes situées au-delà des technologies. » En effet, des éléments biographiques tels l’histoire familiale, l’environnement et le parcours scolaire chaotique (difficultés d’apprentissage; classes spéciales; victime de moqueries et d’intimidation; décrochage) entraînent un sentiment d’incapacité, un manque de confiance en soi et une mise à l’écart des divers terrains de socialisation et de possibilités de réseautage.
2 CEFRIO
3 Équipe de recherche Communautique, INTEGRA-Littératie Québec, L'apprentissage au cœur des TIC : un portrait de l'inclusion numérique des personnes à faible littératie au Québec, janvier 2012, p. 11.
4 Ibid., p. 13.
5 NetGouv 2007.
Éléments matériels et techniques
La plupart des personnes peu alphabétisées possèdent un ordinateur, mais il s’agit presque toujours d’un vieil appareil qui « bogue » souvent. La lenteur de ce type d’équipement ajoute un élément de désintérêt et d’agacement. De plus, quelques personnes interrogées dans le cadre de l’étude de Communautique 6 ne sont pas connectées à Internet, et de nombreuses autres se contentent d’une connexion de basse vitesse. Quoi qu’il en soit, cela représente une charge supplémentaire pour des personnes qui n’ont pour elles qu’un budget déjà étriqué.
6 Équipe de recherche Communautique, INTEGRA-Littératie Québec, L'apprentissage au cœur des TIC : un portrait de l'inclusion numérique des personnes à faible littératie au Québec, janvier 2012.
Représentation de ces technologies de l’information et de la communication
Il y a chez un certain nombre de personnes, surtout chez les plus âgées, une crainte à l’égard de l’informatique : la peur de briser quelque chose ou de ne pas réussir à s’en servir. Quelques individus aussi nourrissent de la méfiance envers ces objets, considérés comme une technologie dangereuse pour les relations sociales et la santé. Par ailleurs, il peut parfois être difficile de susciter de l’intérêt pour ces outils dans un groupe de personnes qui ont passé leur vie sans eux 7. Ajoutons toutefois que la plupart des personnes rencontrées dans l’étude menée par Communautique saisissent l’importance grandissante de ces technologies et jugent attrayantes les TIC tant pour leurs possibilités ludiques que pour l’ouverture aux autres domaines tels l’information et l’emploi.
Peu de soutien
Si les gouvernements considèrent comme une nécessité l’accès de la population aux TIC pour que celle-ci fonctionne avec aisance dans nos sociétés, très peu d’aide gouvernementale est offerte pour favoriser l’inclusion numérique des personnes peu alphabétisées : les sites gouvernementaux sont le plus souvent complexes et rédigés dans un langage assez élaboré, il n’y a pas ou peu de soutien pour remplir les formulaires en ligne, qui sont de plus en plus nombreux, et enfin, l’impression des divers documents comporte bien sûr des frais qui reviennent au citoyen (imprimante, encre, papier).
HABITUDES DES PERSONNES PEU ALPHABÉTISÉES EN MATIÈRE DE TIC
L’utilisation des TIC par les personnes peu alphabétisées 8 reflète leurs conditions de vie et fait preuve de plus de contrastes qu’on ne pourrait le soupçonner.
7 « 85 % des non-internautes ont peu ou pas du tout d’intérêt pour Internet et 90 % des non-internautes ne voient pas ou peu d’inconvénient à ne pas l’utiliser. » NetGouv 2007.
8 Équipe de recherche Communautique, INTEGRA-Littératie Québec, L'apprentissage au cœur des TIC : un portrait de l'inclusion numérique des personnes à faible littératie au Québec, janvier 2012.
Pour bon nombre de ces personnes qui, celles-là, ne sont pas connectées à Internet, l’utilisation de l’informatique reste fort restreinte et se concentre sur quelques activités, « le plus souvent des jeux fournis avec l’ordinateur ». Dans ce cas, la lecture est réduite au strict minimum. Ces personnes procèdent souvent par tâtonnement pour accéder aux programmes « connus », et « les autres activités possibles restent peu ou mal connues9 ». À l’autre pôle, on rencontre des comportements de dépendance. « L’utilisation partielle d’Internet par les personnes à faible littératie peut conduire à des comportements stagnants et addictifs10. » « Cette problématique peut s’avérer dangereuse pour la santé et amener rapidement les personnes à faible littératie, généralement plus vulnérables, vers la technodépendance ou la cyberdépendance 11. » Dans ces cas-là, les « machines » isolent plus qu’elles ne permettent le lien ou l’ouverture au monde. On compte aussi certains jeunes peu alphabétisés captifs des jeux électroniques et des jeux en ligne chez qui la faible connaissance de l’écrit entraîne parfois des situations conflictuelles, parce que les pensées sont mal exprimées, des propos lus sont mal saisis, ou encore, la frontière entre le jeu et la réalité n’est pas assez clairement circonscrite.
Par ailleurs, l’utilisation des sites gouvernementaux par les personnes faiblement alphabétisées est extrêmement restreinte. Lorsqu’il y a consultation, elle est très occasionnelle et le plus souvent réalisée avec l’aide d’un proche, car en plus des capacités de lecture trop faibles, ces personnes « n’en ressentent pas le besoin, ne se sentent pas concernées, voire exclues de ce système technologique et préfèrent utiliser, si besoin, les méthodes “traditionnelles” 12 ».
CONCLUSION
Cette réalité de l’arrivée des TIC entraîne des changements majeurs dans l’organisation du monde et pose de grands défis aux groupes d’alphabétisation populaire, entre autres. Les personnes travaillant au sein de ces organismes sont non seulement très conscientes des enjeux en lien avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, mais aussi préoccupées par ceux-ci. Elles se réjouissent toutefois, comme nous le verrons plus loin, de constater une nette progression dans l’aisance et l’autonomie des personnes peu alphabétisées lorsque ces dernières reçoivent des services adaptés et lorsqu’elles sont dans de bonnes conditions pour s’approprier l’information qui leur est donnée. Cela dit, à court et à moyen termes, la solution entrevue ne passe pas exclusivement par la formation pour tout le monde. Cela est bien sûr impossible. La réponse à la question de l’inclusion du plus grand nombre en regard des TIC est de garder des espaces non numériques où l’information et les services sont accessibles.
9 Ibid., p. 26.
10 Ibid., p. 38.
11 Ibid., p. 38.
12 Op. cit., p. 40.