L’Assemblée mondiale de l’éducation des adultes à Montréal : 1 an déjà!
Il y a un an se tenait l’Assemblée mondiale de l’éducation des adultes (du 11 au 13 juin 2015), un événement international majeur en éducation des adultes, qui a lieu à tous les quatre ans sous l’égide du Conseil international d’éducation des adultes. Pour la première fois, l’Assemblée mondiale se tenait au Québec et son organisation avait été confiée à l’ICÉA. Un an après, quel bilan en tirer?
L’Assemblée mondiale fut véritablement cet « espace collectif » qu’elle souhaitait être, alors que plus de 560 personnes y ont participé, dont 200 personnes provenaient de l’extérieur du Canada. En outre, comme le montrent les débats en plénière et le grand nombre d’ateliers, sur des sujets dont la diversité témoigne de la richesse de l’éducation des adultes, l’Assemblée mondiale a affirmé fermement « le droit à l’éducation et à l’apprentissage tout au long de la vie, pour toutes et tous, et son rôle clé pour renforcer les capacités des citoyennes et des citoyens à créer ce monde que nous voulons, plus démocratique, inclusif, juste et respectueux du développement durable », comme le proposait un de ses objectifs.
Un an après : quelques éléments de bilan
La déclaration finale de l’Assemblée mondiale donne le ton des engagements de la société civile à l’égard des suivis à lui donner : «Nous allons faire le suivi de la mise en œuvre des cadres d’action légaux et politiques, élargir la vision étroite de l’éducation des jeunes et des adultes, et, de la part des gouvernements, nous exigerons une reddition de compte et de la transparence». Œuvrer à l’élargissement d’une vision de l’éducation des adultes, trop souvent réduite à la littératie et l’employabilité, et questionner les États sur les moyens pris pour honorer leurs engagements constituent deux vastes chantiers d’action qu’entend investir la société civile internationale en éducation des adultes. Ils ne sont pas nouveaux et, en ce sens, la déclaration finale de l’Assemblée mondiale constate qu’ils demeurent malheureusement d’actualité.
À l’automne 2015, quelques mois après la tenue de l’Assemblée mondiale de l’éducation des adultes, l’UNESCO adoptait un nouveau programme international d’action pour les années 2015-2030, auquel est associé un plan d’action spécifique en éducation. Le dernier droit de l’adoption de ce nouveau cadre de référence en éducation fut l’occasion pour le Conseil international d’éducation des adultes de faire valoir une vision large de l’éducation des adultes et de relancer les États sur la mise en œuvre de leurs engagements. Les résultats sont mitigés. Car, en éducation, la communauté internationale concentre toujours ses actions sur l’éducation initiale des jeunes et porte peu d’attention à l’éducation des adultes.
Il est vrai que la grande orientation en éducation, du nouveau programme d’action de l’UNESCO, invite à « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Cette perspective peut être inclusive de l’éducation des adultes. Or, le plan d’action lui étant associé ne réfère pas à l’éducation des adultes et, lorsque qu’il est question d’apprentissage chez les adultes, s’avère extrêmement réducteur des enjeux. En fait, l’expression éducation des adultes n’apparaît pas dans ce document, le texte lui préférant l’expression apprentissage tout au long de la vie. En outre, les propositions concernant l’apprentissage chez les adultes se limitent au rehaussement de la participation, à l’alphabétisation et à la formation de base et à la réussite, comme le révèlent les indicateurs adoptés pour faire le suivi de la mise en œuvre du nouveau programme d’action. Nous sommes loin d’une approche tenant compte des défis et des enjeux de l’apprentissage chez les adultes dans ces sociétés de la connaissance si complexes.
Sur la scène internationale, la défense d’une vision large de l’éducation des adultes demeure une lutte nécessaire. En fait, nous connaissons même des reculs en la matière. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à relire la déclaration finale de la cinquième conférence internationale de l’UNESCO sur l’éducation des adultes, CONFINTEA V, de 1997. Ce texte propose une vision large de l’éducation des adultes, qui en reconnaît l’importance dans plusieurs sphères de la vie moderne et, globalement, considère l’éducation des adultes comme une «clé du XXIe siècle». Depuis cette époque, nous assistons à une réduction continue des enjeux de l’éducation des adultes dans les politiques internationales.
Une situation similaire se produit au Québec et au Canada. Au Canada, l’automne dernier, une coalition d’organisations et de chercheurs en éducation des adultes publia une plateforme invitant les partis politiques à remettre l’éducation des adultes sur les rails. On y constatait des reculs et une marginalisation de l’éducation des adultes, alors que les défis d’apprentissage sont majeurs. Au Québec, l’éducation des adultes n’apparait aucunement parmi les priorités gouvernementales. Et, lorsqu’on y réfère, il n’est question que de littératie ou d’employabilité.
Au cours de la dernière année, l’ICÉA a fait état d’inquiétudes à l’égard du développement de l’éducation des adultes. Concernant la situation canadienne, l’Institut était un des signataires de la plateforme de membres de la société civile. Relativement à la situation au Québec, l’ICÉA a fait valoir que l’éducation des adultes se trouvait à la croisée des chemins et qu’il fallait lui donner un nouveau souffle. Plus spécifiquement, l’ICÉA s’inquiète de la marginalisation de l’éducation des adultes dans les politiques publiques, dont témoigne la réduction du financement public de ce secteur, et de l’absence d’une vision d’ensemble des défis et des enjeux de l’apprentissage dans une société fortement basée sur les connaissances et les compétences.
Au Québec, les politiques publiques continuent de poursuivre des orientations qui font partie du paysage de l’éducation des adultes depuis les années 1960, comme l’acquisition par toutes et tous d’une formation de base, ce qui devrait être un acquis, dans une société du XXIe siècle. Pendant ce temps, ces politiques ne prennent pas de front les défis considérables d’une société de plus en plus exigeantes en matière de connaissances et de compétences et, conséquemment, laissent en plan l’enjeu des risques d’exclusion posés par cette société aux personnes qui ne peuvent profiter des possibilités d’apprentissage continue.
Ces défis d’apprentissage sont majeurs pour le développement individuel et collectif. Ils concernent des domaines, allant bien au-delà la littératie et l’employabilité, comme l’éducation au développement durable, l’éducation à la citoyenneté, l’éducation à la santé, l’éducation aux finances personnelles, l’éducation interculturelle et antiraciste, etc., qui tous réfèrent à des connaissances et des compétences nécessaires pour le bon fonctionnement de la société et l’insertion sociale des individus.
Réaffirmer et défendre le droit à l’éducation pour tous les adultes
La déclaration finale de l’Assemblée mondiale répondait au souhait d’«examiner des priorités pour l’apprentissage et l’éducation tout au long de la vie et élaborer des stratégies d’action sur les plans global, régional et local», un des objectifs de l’événement. Cette déclaration exprime des messages clés qui traduisent des considérations de la société civile internationale en éducation des adultes. La déclaration finale de l’Assemblée mondiale :
- Affirme une conviction profonde dans la nécessité grandissante de l’éducation des adultes et son statut de droit humain fondamental, notamment pour l’avènement d’un monde sans discrimination, démocratique, juste, égalitaire et respectueux de la diversité.
- Constate que notre monde est secoué par des crises environnementale, socio-culturelle et économique complexes, qui appellent de nouvelles perspectives, des États respectant leurs engagements internationaux et une société civile qui a les moyens de sensibiliser la population.
- Rappelle que des inégalités affligent de larges pans de la population, notamment sur le plan économique.
- Fait valoir que l’éducation est aussi en crise, dans un contexte de privatisation et de politiques lacunaires de la part des États.
- Appelle à soutenir et financer l’innovation en éducation, pour élargir la participation par des moyens adaptés d’éducation.
- Défend une vision du droit à l’éducation qui va bien au-delà l’alphabétisation et la littératie et qui fondamentalement concerne le développement d’une capacité à critiquer notre monde et à participer activement à sa construction.
- Exprime un engagement de la société civile internationale à agir « pour que le droit de chacun à l’apprentissage tout au long de la vie (« lifelong learning »), dans toutes les dimensions de la vie (« life-wide learning ») et dans toute la profondeur de la vie (« life-deep learning ») soit reconnu publiquement et qu’il devienne un instrument continu d’empowerment pour tous les hommes et toutes les femmes de la planète ».
Au total, quatre plénières et soixante-quatre ateliers internationaux ou auto-organisés ont été l’occasion de faire le point sur des enjeux stratégiques en éducation des adultes et de mettre en commun des considérations sur les actions à prendre. La grande diversité des sujets abordés révèle l’importance de l’éducation des adultes dans la plupart des sphères de la vie sociale.
Les enjeux éducatifs des populations
Les domaines de l’éducation des adultes
Les acteurs de l’éducation des adultes
Les politiques d’éducation des adultes
Éducation des adultes et société
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D’abord un lieu d’expression politique de la société civile mondiale en éducation des adultes, l’Assemblée mondiale est aussi une occasion, pour les intervenantes et les intervenants en éducation des adultes de partout dans le monde, de faire connaissance, de tisser des liens, de renforcer les solidarités existantes. Pour le Québec, hôte de l’événement, l’Assemblée mondiale a permis de mettre en valeur des initiatives d’éducation des adultes et de partager des analyses de la conjoncture, des défis et des enjeux.
Conclusion
De toute évidence, l’appel de la déclaration finale de l’Assemblée mondiale à faire la promotion d’une vision large de l’éducation des adultes et à rappeler aux États leur responsabilité en la matière sera à l’ordre du jour de la société civile pour encore des années. Un an après l’adoption de cette déclaration finale, force est de constater qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que les États adoptent des politiques d’éducation des adultes à la hauteur des défis et des enjeux des sociétés de la connaissance, qu’ils offrent à toutes et tous les moyens d’apprentissage pour surmonter ces défis et qu’ils combattent les inégalités en éducation des adultes qui, dans ces sociétés, mettent à risque d’exclusion les populations touchées.
Une récente discussion au conseil d’administration de l’ICÉA, dans le cadre de l’élaboration en cours d’une nouvelle planification stratégique pluriannuelle, faisait valoir de vives inquiétudes à l’égard de la situation de l’éducation au Québec et la nécessité pour l’ICÉA de redoubler d’effort à la défense de l’éducation des adultes. Les problèmes constatés ne seraient pas d’ordre conjoncturel, mais ils découleraient d’une conception limitée de l’éducation des adultes, au sein des politiques. En ce sens, ces considérations font écho à la déclaration finale de l’Assemblée mondiale d’éducation des adultes, elles éclairent un bilan de celle-ci et, pour l’Institut, elles dégagent des perspectives pour la planification stratégique qui sera adoptée à l’Assemblée générale d’octobre 2016.
Pour l’ICÉA, un an après sa tenue, l’Assemblée mondiale reste une profonde source d’inspiration. Plénières et ateliers témoignèrent de l’importance de l’éducation dans nos sociétés complexes et en crise. Mais, au-delà ces contenus, l’Assemblée mondiale réunit des individus qui quotidiennement prennent la défense de l’éducation des adultes dans leur pays respectif. Au bilan de cette première année, il faut inclure les liens tissés entre les participantes et les participants, les exemples indiquant des voies possibles d’action et ces interventions de voix fortes de convictions et d’espoirs qui peuvent résonner longtemps et insuffler l’énergie nécessaire à l’action visant à ce que l’éducation des adultes gagne la place qui lui revient, au sein des priorités gouvernementales.