Le monde change, les groupes d’alphabétisation populaire et les personnes qui les fréquentent aussi

Le monde change, les groupes d’alphabétisation populaire et les personnes qui les fréquentent aussi

2020
Francine Pelletier

Résumé: 

Regards croisés à partir de trois rapports qui brossent un portrait des participantes et des participants aux groupes d’alphabétisation populaire, des conditions de travail des équipes en place et des projets réalisés en partenariat.

Les changements démographiques se font sentir au Québec. Les populations des quartiers des milieux urbains changent, ainsi que celles des différentes localités et municipalités des territoires et des régions. Ces changements ne se vivent pas partout de la même façon. Ici, on parle d’embourgeoisement, de déplacement de la pauvreté, de l’arrivée de nouvelles populations immigrantes; là, de vieillissement de la population, de l’exode des jeunes vers les milieux urbains ou de dévitalisation. Parfois, de tout cela à la fois. La démographie du Québec change, tout comme les personnes qui fréquentent les groupes d’alphabétisation populaire, et ces derniers doivent, eux aussi, composer avec ces transformations.
Le marché de travail et de l’emploi est également en mutation. Départs à la retraite, relève à attirer et à intégrer, pénurie de main-d’œuvre, compétition accrue pour la main-d’œuvre disponible et nécessité de revoir les conditions de travail pour rendre les emplois plus attrayants à une main-d’œuvre qui se raréfie sont autant de sujets qui marquent l’actualité quotidienne. Les groupes d’alphabétisation populaire n’échappent pas à cette autre transformation. Ils subissent eux aussi l’impact de ces changements.
En plus de ces grandes transformations sociales, soulignons qu’en 2017, trois éléments contextuels propres au monde de l’éducation des adultes ont incité le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) à amorcer un vaste projet d’enquêtes, de réflexion, d’échanges et d’outillage :
    • Le gouvernement a lancé la Politique de la réussite éducative, laquelle intègre le développement des compétences en littératie tout au long de la vie, en numératie et celles reliées au potentiel des technologies numériques.
    • Un investissement de neuf millions de dollars en financement supplémentaire récurrent a été injecté dans le Programme d’action communautaire sur le terrain de l’éducation (PACTE).
    • Une place importante a été accordée à la concertation des différents acteurs dans les milieux par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MELS) en vue de l’atteinte des visées relatives à la réussite éducative.

C’est en raison de ce contexte que le RGPAQ a senti le besoin de faire le point avec ses groupes membres afin de cerner les défis avec lesquels les groupes doivent composer sur le terrain. Il a ainsi choisi de dresser un état des lieux de la situation des groupes membres du RGPAQ, sachant toutefois qu’il serait évidemment impossible de traiter toutes les dimensions qui composent la vie des groupes et du regroupement en un seul projet.

Dresser un état des lieux – une démarche en trois volets

Pour amorcer le travail de ce vaste chantier, trois axes de travail ont été définis et traités : le portrait des personnes fréquentant les groupes – les participantes et les participants (pour qui), les expériences de projets réalisés en partenariat (avec qui) et les conditions de travail des personnes œuvrant dans les groupes (par qui). 
Deux rencontres régionales ont été organisées à l’automne 2018 – l’une à Montréal, et l’autre, à Québec – afin de dresser un état des lieux de la situation des groupes sur ces trois questions. Ces rencontres ont réuni 100 personnes provenant de 64 groupes membres, ce qui représente un taux de participation de 84 %. Préalablement aux rencontres, les groupes (conseil d’administration, équipe de travail, participantes et participants) ont été invités à se réunir et à engager une discussion à partir d’un document de travail qui portait sur les trois thèmes à l’étude.
Parallèlement, les groupes ont également été invités à s’investir dans deux enquêtes. L’une a été menée par le RGPAQ, de l’automne 2018 à l’hiver 2019. Axée sur les résultats de fréquentation obtenus en 2017-2018, cette enquête devait permettre de tracer le portrait des participantes et des participants. L’autre, qui a été réalisée de l’automne 2017 au printemps 2018 par le Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’économie sociale et de l’action communautaire (CSMO-ÉSAC), portait sur les conditions de travail prévalant dans le secteur. Dans le cadre de cette enquête, le RGPAQ a demandé au CSMO-ÉSAC de faire ressortir les résultats des répondants d’alphabétisation populaire.

 

Trois documents aux résultats interreliés

Trois documents ont résulté de ce projet : Participantes et participants en alphabétisation populaire : un portrait; Conditions de travail dans les groupes d’alphabétisation populaire : premiers contours; Partenariats et groupes d’alphabétisation populaire : état des lieux et conditions de réussite 1.
La recherche et les discussions sur ces trois aspects ont permis de dégager de nombreux défis, des thèmes de réflexion à approfondir ainsi que des pistes d’action à poursuivre. De plus, comme l’un des objectifs du projet consistait à appuyer les groupes afin qu’ils soient en mesure de relever les défis soulevés dans chacun des documents, l’information rassemblée a fourni soit des balises pour guider les pratiques, soit des pistes pour discuter de ces questions. Pour chacun des thèmes, le RGPAQ a eu le souci d’ajouter des références utiles.
S’ils semblent dissociés les uns des autres, les trois rapports ne le sont pas pour autant. Les liens se tissent entre la démarche d’alphabétisation populaire et les participantes et les participants – pour qui les groupes existent –, les conditions de travail des personnes qui y œuvrent – par qui le travail d’alphabétisation populaire se réalise –, et les relations des organismes avec les acteurs de leur milieu – avec qui les groupes s’engagent pour lutter contre l’analphabétisme.

Les groupes d’alphabétisation populaire et les changements démographiques

Les activités d’alphabétisation populaire des 45 répondants au sondage du RGPAQ comptent 2 101 personnes de plus de 16 ans dont 71 % sont des femmes. À Montréal et à Québec, on note la présence d’une proportion accrue de personnes (45 %) qui ont de 25 à 49 ans. Dans les autres régions du Québec, on observe que près de 7 personnes sur 10 auraient plus de 50 ans.

1 Compte tenu du nombre de répondants aux deux enquêtes – RGPAQ et CSMO-ÉSAC –, les marges d’erreur des sondages se situent respectivement à +/- 9 % et +/- 10,46 %. Les standards méthodologiques étant fixés à +/- 5 %, les résultats indiquent donc davantage une tendance qu’un portrait.

Cette situation concorde avec les données récentes publiées par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) 2. On y note que le profil démographique de la région de Montréal se caractérise par « une population d’âge actif plus importante et plus concentrée chez les jeunes adultes » et que « le vieillissement de la population y a été moins rapide que dans les autres régions » (ISQ, Bilan démographique du Québec, Annexe 1, fiches régionales, région de Montréal).
L’immigration internationale et l’arrivée de jeunes issus d’autres régions jouent un rôle important dans cette situation. « Le maintien d’un bassin de jeunes adultes à Montréal est assuré par l’accueil d’immigrants internationaux, majoritairement âgés dans la vingtaine et la trentaine lors de leur établissement au Québec, de même que par l’arrivée de jeunes issus des autres régions du Québec. » (ISQ, Panorama des régions, page 22.)
Les populations du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et de la Mauricie figurent parmi les plus âgées du Québec (ISQ, Panorama des régions, page 21).  Les populations des régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean, du Centre-du-Québec, de l’Estrie, de la Chaudière-Appalaches et de la Capitale-Nationale apparaissent aussi plus âgées que dans l’ensemble du Québec. À l’autre bout du spectre, le Nord-du-Québec se distingue comme étant, de loin, la région avec la population la plus jeune du Québec. La population de l’Outaouais est aussi relativement jeune en comparaison avec celles de la plupart des autres régions (ISQ, Panorama des régions, page 22).

Composer avec la diversité

Par rapport à d’autres, certains groupes accueillent des personnes âgées nombre accru. D’autres reçoivent des jeunes décrocheurs, des jeunes qui sortent de l’école ou des jeunes sans-emploi. Nombreux sont ceux qui composent avec une diversité de groupes d’âge dans les ateliers et dans les activités : des personnes retraitées, des grands-parents, des adultes dans la quarantaine, des jeunes, etc.
Ainsi, les groupes doivent travailler avec des jeunes, de jeunes familles, des travailleurs et des travailleuses, des adultes vivant une grande précarité, des personnes présentant des problèmes de santé physique ou mentale, des personnes âgées aux prises avec des difficultés cognitives et des problèmes de santé liés au vieillissement, des personnes vivant avec une déficience. Cette réalité demande de composer avec une grande diversité de besoins, de préoccupations, de motivations et de champs d’intérêt. Une grande souplesse et une bonne capacité d’adaptation sont donc requises, et ce, tant pour les groupes que pour les personnes qui y travaillent.
Revoir les horaires pour tenir compte des disponibilités des travailleuses et des travailleurs, modifier les aménagements pour assurer l’accessibilité physique des locaux aux personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap, et assurer la formation des membres de l’équipe de travail sont autant de pistes que les groupes doivent explorer pour composer avec la diversité des participantes et des participants. Toutefois, cela nécessite des moyens financiers qui ne sont pas toujours au rendez-vous.
Malgré tout, les groupes d’alphabétisation populaire déploient des efforts considérables pour offrir une gamme d’activités qui permettent de répondre aux besoins et aux champs d’intérêt divers : projets, activités artistiques et culturelles, de loisirs, de participation citoyenne, de cuisine collective, d’alimentation, d’employabilité, d’art-action, d’éducation populaire, de conscientisation, etc.
Lors des rencontres régionales, plusieurs groupes ont mentionné avoir bonifié les ressources matérielles (acquisition de mobilier ou d’équipement informatique ou de multimédias) avec le financement supplémentaire obtenu en 2017-2018. D’autres ont amélioré leurs locaux, les ont rénovés ou les ont agrandis. D’autres encore ont déménagé. Plusieurs ont aussi ajouté des activités ou des services, augmenté les semaines d’activité ou prolongé les heures d’ouverture. Ces améliorations constituent une réponse directe à la volonté d’accueillir une diversité de personnes et d’assurer l’intégration de ces dernières dans les ateliers : volonté de bien répondre aux besoins, d’accueillir plus de gens, et d’offrir plus de services, d’activités et d’heures d’ouverture qu’avant.
Une présence accrue des personnes immigrantes
Quelque 430 personnes issues de l’immigration fréquentent les groupes, soit 20 % des personnes dénombrées par les répondants à l’enquête. De ce nombre, 379 font partie des groupes de répondants des régions de Laval, de la Montérégie, de Montréal et de Québec, et 271 vivent à Montréal, soit 63 % de toutes les personnes dénombrées par les répondants. Quinze groupes répondants accueillent l’ensemble de ces personnes, dont 7 sont situés à Montréal, et 4, à Québec. Enfin, 51 personnes issues de l’immigration sont dans les groupes répondants présents ailleurs au Québec; elles participent aux activités de 10 groupes d’alphabétisation populaire.

2 Institut de la statistique du Québec, Le bilan démographique du Québec, Édition 2018. http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/bilan2018...
Institut de la statistique du Québec, Panorama des régions, Édition révisée 2018.
http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/profils/panorama-regions-2018.pdf

Encore une fois, ces résultats reflètent les données publiées par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Inclusion (MIFI) 3 en 2017, qui montrent que la région métropolitaine de Montréal (RMM – région pour les statistiques de recensement) compte 73,9 % de la population immigrante admise au Québec de 2006 à 2015 et présente en 2017. Cette population est répartie comme suit : Montréal – 58,2 %; Laval – 8,2 %; et Longueuil (agglomération) – 7,5 % (MIDI, Présence et portraits régionaux des personnes immigrantes admises au Québec de 2006 à 2015, annexe 2, tableau 10). Seize répondants à l’enquête comptent 312 personnes qui participent à des activités d’alpha-francisation.

Les changements et les effets que les groupes d’alphabétisation populaire observent

Les groupes qui travaillaient auparavant principalement avec des personnes d’une même origine voient la provenance des personnes immigrantes se diversifier depuis quelques années. La fréquentation des groupes par les personnes immigrantes semble suivre les différentes vagues migratoires.
Dans certains groupes de Montréal, pour une première fois en 2017-2018, les personnes immigrantes étaient majoritaires dans les activités d’alphabétisation populaire. A aussi été notée la présence de réfugiés de pays en guerre qui ont connu des parcours migratoires éprouvants et pénibles. Les personnes immigrantes en alphabétisation ont été peu ou n’ont pas été scolarisées dans leur pays d’origine. Par ailleurs, la provenance diverse des personnes immigrantes fait en sorte que plusieurs langues maternelles différentes peuvent maintenant cohabiter au sein d’un même groupe ou dans un même atelier.
On a également observé au sein de groupes une présence accrue de femmes immigrantes, qui vivent des réalités et qui ont des préoccupations qui leur sont propres. Elles proviennent de diverses régions du monde – Afrique, Asie, Maghreb, Amérique latine, etc. – et n’ont pas eu accès à l’éducation dans leur pays d’origine. Des groupes mentionnent la situation particulière des femmes immigrantes qui restent souvent à la maison pour s’occuper des enfants et qui sont souvent les dernières de la famille à pouvoir suivre une formation.
Certains groupes accueillent davantage de personnes sans statut. Celles-ci sont orientées vers eux parce qu’elles ne peuvent intégrer les activités financées par le MIFI ou par la commission scolaire. Les personnes ayant immigré depuis plus de cinq ans et parlant français sont plus présentes au sein des groupes de la grande région de Montréal et de Québec que dans ceux du reste de la province.
On constate en outre que les personnes immigrantes arrivées récemment veulent s’intégrer à la société d’accueil et souhaitent trouver un emploi rapidement. Or, quand elles obtiennent un emploi, elles cessent souvent leur démarche de formation faute de temps ou à cause des horaires du travail et de ceux des ateliers, incompatibles entre eux. Certains notent des différences entre les personnes immigrantes et les Québécois d’origine notamment dans le rapport à l’analphabétisme et à l’école. Le faible niveau d’alphabétisme d’un certain nombre de personnes immigrantes est souvent dû au fait qu’elles sont très peu scolarisées dans leur pays d’origine. Alors que pour les Québécoises et les Québécois, les difficultés sont reliées le plus souvent à des parcours scolaires parsemés d’échecs. Les personnes immigrantes se montrent généralement moins hésitantes que les Québécois d’origine à entreprendre une démarche d’alphabétisation, ce qui rendrait le recrutement des personnes immigrantes et leur parcours en alphabétisation souvent moins ardus.
Les changements constants des règles relatives à l’immigration ont un impact direct sur la fréquentation des groupes. Le nombre de personnes aux ateliers fluctue constamment, ce qui pose un énorme casse-tête relativement à l’offre d’activités adaptées aux besoins des personnes.
Les contraintes imposées par le MIFI ont incité certains groupes à délaisser le financement offert par ce dernier, compte tenu de l’impossibilité d’adopter l’approche d’alphabétisation populaire, du programme de formation très contraignant, de l’incapacité de choisir la formatrice ou le formateur, ou des contraintes imposées quant à la sélection des personnes qui prennent part à l’atelier de formation.
La non-reconnaissance par le MIFI des groupes d’alphabétisation populaire œuvrant en alpha-francisation freine la participation des personnes immigrantes parce que ces dernières ne peuvent obtenir le soutien financier qui y est associé ni la reconnaissance formelle de la formation qu’elles ont suivie. C’est pourquoi les organismes du milieu orientent souvent les personnes sans statut vers les groupes d’alphabétisation populaire.
En ce qui a trait aux défis, les groupes déplorent : le manque de financement pour répondre aux besoins des personnes immigrantes peu alphabétisées et ne parlant pas français; l’absence de reconnaissance des démarches d’alpha-francisation qui se font dans les groupes d’alphabétisation populaire. Par conséquent, ils souhaitent obtenir du financement supplémentaire afin de pouvoir répondre aux besoins de ces personnes.


Agir dans un vaste territoire peu densément peuplé et composer avec le défi du transport

Dans certaines régions, les groupes doivent couvrir un territoire immense où se trouvent plusieurs petites localités faiblement peuplées. Dans un tel contexte, joindre les gens dans leur milieu et à proximité de leur lieu de vie s’avère difficile. Il est donc souvent impossible de recruter suffisamment de personnes pour former un groupe dans une petite localité.
À ce défi s’ajoutent les problèmes de transport; le transport collectif n’est souvent offert que dans les municipalités plus densément peuplées. Par ailleurs, dans les milieux où le transport collectif est présent, les coûts sont souvent trop élevés pour les personnes à faible revenu. Dans les milieux où il n’y a pas de transport collectif, soit le groupe doit se déplacer vers les personnes, soit les personnes doivent se débrouiller pour se déplacer vers le groupe.


Lever les obstacles à la participation et à l’accessibilité

Parmi les obstacles à la participation, on note, bien sûr, les difficultés reliées au transport (trop coûteux en milieu urbain, souvent absent en milieu rural). S’y ajoutent l’absence de halte-garderie, la nécessité de rendre les locaux accessibles aux personnes ayant des limitations physiques, l’importance d’offrir des activités à proximité du lieu de résidence dans les vastes territoires peu densément peuplés, la non-disponibilité d’Internet haute vitesse à coût abordable partout au Québec – ce qui permettrait d’offrir des activités d’alphabétisation par Internet –, ou le nombre insuffisant d’ordinateurs ou de tablettes pour les activités d’alphabétisation numérique.
Pour éliminer ces obstacles, des mesures devraient être adoptées sur le plan des politiques gouvernementales : une allocation pour le transport et une tarification du transport collectif plus abordable qu’à l’heure actuelle pour les personnes à faible revenu, des allocations pour les frais de garde, du financement et des ressources pour l’adaptation des locaux et des installations afin qu’ils répondent aux besoins des personnes ayant des limitations physiques, l’accès à Internet haute vitesse à coût abordable sur tout le territoire du Québec.

3 Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Inclusion, 2017 : Présence et portraits régionaux des personnes immigrantes admises au Québec de 2006 à 2015, Gouvernement du Québec, 2017.
http://www.mifi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_P...

Les équipes de travail et leurs conditions de travail

Le travail d’alphabétisation populaire repose sur de petites équipes de travail dévouées et engagées, composées en majorité de femmes. Chez 95 % des répondants des groupes d’alphabétisation à l’enquête du CSMO-ÉSAC 4, on trouve 4 employés en moyenne rémunérés sur la base du financement récurrent (nombre médian : 3); 46 % des répondants comptent 2 employés, en moyenne, rémunérés sur la base de projets à durée déterminée (nombre médian : 1).
Dans 74 % des groupes ayant participé à l’enquête, on trouve des femmes qui travaillent à temps plein, c’est-à-dire 30 heures ou plus par semaine 5. Ces femmes travaillent, en moyenne, 46 semaines par an. Leur taux horaire médian est de 20,11 $. On note donc un écart : dans « l’ensemble des secteurs et à l’échelle du Québec, le salaire horaire moyen en 2018 était de 25,42 $. Il s’élevait à 26,86 $ pour les hommes et à 23,90 $ pour les femmes » (Institut de la statistique du Québec in Les Repères, page 138).

4 Le RGPAQ a demandé au CSMO-ÉSAC de faire ressortir les résultats pour les groupes d’alphabétisation populaire.
5 La semaine de travail dans les groupes d’alphabétisation populaire est fixée, chez de nombreux groupes, à 28 heures par semaine.

Quand travailler en alphabétisation populaire rime avec précarité

Les femmes qui travaillent à temps partiel dans le milieu de l’alphabétisation sont présentes chez 60 % des répondants. La situation des femmes et des hommes à temps partiel mérite un commentaire.
Si on examine la situation des femmes employées à temps partiel chez les répondants, les données indiquent qu’elles travaillent 5 semaines de moins en moyenne par année que les femmes employées à temps plein et qu’elles gagnent 0,50 $ l’heure de moins en moyenne ou 1,57 $ l’heure de moins au taux médian.
La situation des hommes employés à temps partiel chez les répondants montre qu’ils travaillent près de 20 semaines de moins que les femmes à temps partiel et qu’ils gagnent environ 0,60 $ l’heure en moyenne de moins que les femmes employées à temps partiel. En raison du salaire moins élevé et du nombre limité d’heures et de semaines de travail, les travailleuses et les travailleurs à temps partiel vivent une grande précarité.

Comment et pourquoi améliorer les conditions de travail

L’état des lieux sur les conditions de travail cerne les principaux ingrédients à réunir pour améliorer les conditions de travail dans les groupes : les salaires, les vacances, les congés et les mesures de conciliation travail, famille et vie personnelle; les avantages sociaux tels les assurances collectives et les régimes de retraite; les ajustements au temps de travail (hebdomadaire et annuel) pour qu’il corresponde aux besoins et aux capacités des personnes et des groupes; l’attention à apporter au climat de travail, au partage des valeurs et à l’environnement de travail.
L’amélioration des conditions de travail en alphabétisation a des effets positifs non seulement sur les personnes qui y travaillent, mais aussi sur les participantes et les participants, sur l’organisme lui-même et sur la perception de l’organisme dans le milieu. Parmi les effets positifs de l’amélioration des conditions de travail, la rétention de personnel est la plus notoire, parce qu’elle amène davantage de stabilité dans la composition de l’équipe. De meilleures conditions de travail facilitent aussi le recrutement lors des départs puisque les emplois sont plus attrayants pour la relève. Avec plus de stabilité dans la composition de l’équipe, les personnes accumulent plus d’expérience, et les participantes et les participants en ressentent les effets. Elles et ils se sentent plus en confiance et tissent des liens plus forts avec les membres de l’équipe, ce qui s’avère bénéfique.
Augmenter le nombre de semaines de travail par année pour les membres des équipes de travail ou transformer les postes à temps partiel en postes à temps complet permettrait d’accroître le nombre de semaines d’activités, dont des activités durant l’été, ou d’offrir des heures d’ouverture prolongées, grâce auxquelles des activités pourraient être offertes le soir pour favoriser la fréquentation par les travailleuses et les travailleurs.
Au fil des ans, un grand nombre de groupes ont fait preuve de détermination et de créativité pour améliorer les conditions de travail. L’état des lieux a incité le RGPAQ à produire un outil supplémentaire pour accompagner les groupes dans leur réflexion sur les conditions de travail. Une vidéo en trois parties présente les enjeux et des façons d’aborder cette question dans les groupes :
Les conditions de travail en alphabétisation populaire : expériences et réflexions
Première partie – Travailler en alphabétisation populaire
https://www.youtube.com/watch?v=LpWHk8OBxx0&t=13s
Deuxième partie – Offrir de bonnes conditions de travail
https://www.youtube.com/watch?v=bIVkRkLcdVQ&t=14s
Troisième partie – Pour des pratiques solidaires et équitables en matière de conditions de travail
https://www.youtube.com/watch?v=Se_BHEQOXHg&t=104s

Améliorer le financement à la mission : une pierre angulaire

La structure de financement des groupes (financement à la mission, financement par projet, contrats externes et ententes de services, dons, etc.) a une influence certaine sur l’amélioration des conditions de travail, en particulier le financement à la mission, qui constitue la pierre angulaire.
Ainsi, pour qu’un groupe soit en mesure d’améliorer les salaires, de les indexer, de se munir d’une équipe suffisante pour effectuer toutes les tâches et de réaliser pleinement sa mission, de pérenniser les emplois en lien avec les projets, et de transformer les emplois à temps partiel en emplois à temps complet, il s’avère essentiel qu’un financement suffisant à la mission soit accordé et que celui-ci soit indexé chaque année. Les financements doivent être stables, récurrents et suffisants, et ils doivent progresser au rythme de l’inflation.
Recourir au financement par projet pour combler le déficit d’opération fragilise les emplois et génère de la précarité. Si, pour avoir le nombre suffisant d’employés permettant de répondre aux besoins, on doit compter sur les projets pour compléter l’équipe de travail ou financer certains postes, cela ne permet pas de pérenniser ces postes et engendre de l’instabilité pour les personnes qui les occupent. Avec un financement par projet, la planification à long terme est difficile et même souvent impossible.

Les projets réalisés en partenariat

L’état des lieux sur les projets réalisés en partenariat a permis de déterminer les conditions nécessaires pour que les partenariats se vivent de façon positive et que leurs effets soient bénéfiques pour tous.
Les projets réalisés en partenariat amènent de nombreuses retombées positives tant pour l’organisme lui-même, les participantes et les participants que pour le milieu. Ils ouvrent généralement la porte à de nouvelles possibilités ou à de nouvelles idées qui permettent de diversifier les activités. Ils contribuent à l’actualisation des pratiques, à la découverte de nouvelles approches, et à l’apprivoisement de nouvelles méthodes qui favorisent l’apprentissage. Globalement, ces nouvelles propositions permettent d’innover dans la réponse aux besoins des populations visées, de diversifier la gamme d’activités offertes aux participantes et aux participants et de sortir des sentiers battus.
En outre, ces projets rendent le groupe d’alphabétisation populaire plus visible dans son milieu, et plus de gens ou de nouvelles populations sont informés des activités et des services offerts et sont orientés vers ceux-ci. Les projets favorisent en outre l’établissement de liens entre les organismes du milieu et améliorent la collaboration et la coopération. Ils permettent aussi de sensibiliser la population à la problématique de l’analphabétisme et de faire connaître celle-ci.
En contrepartie, ces projets demandent souvent beaucoup de souplesse et de flexibilité à l’équipe de travail. Comme les groupes ne peuvent souvent pas ajouter du personnel quand les projets permettent de boucler le budget de fonctionnement, il arrive que cela occasionne une surcharge de travail qui, elle-même, engendre de l’épuisement professionnel, voire des départs.

En conclusion

Ces trois rapports rendent visible l’ampleur des défis que doivent relever les groupes. L’évolution de l’analphabétisme sur le terrain au Québec ou la multiplication des obstacles auxquels se heurtent les personnes peu alphabétisées demandent aux groupes d’être constamment branchés sur le milieu et de trouver des solutions novatrices à la mouvance de la situation et aux difficultés rencontrées. Les changements de population dans les milieux où œuvrent les groupes demandent aussi à ces derniers de la flexibilité et une grande capacité d’adaptation de leurs pratiques.
Les conditions de travail, quand elles sont trop précaires, accentuent le défi qui consiste à mettre sur pied des ressources de qualité bien implantées et bien adaptées au milieu. Les partenariats avec les autres organismes du milieu, quant à eux, seront fructueux dans la mesure où ils s’établissent dans le respect des réalités particulières de chacun des organismes et avec la reconnaissance de la mission propre aux groupes d’alphabétisation populaire.
Finalement, on le voit, ces trois rapports sont étroitement reliés entre eux. Ils font ressortir toute l’importance de la reconnaissance et du financement de l’alphabétisation populaire et la nécessité de soutenir les personnes qui souhaitent entreprendre une démarche d’alphabétisation.