Enjeux féministes des technologies de l'information et de la communication (TIC)

Résumé: 

Ce dossier spécial présente un aperçu de la manière dont les femmes utilisent et s’approprient les outils technologiques, ainsi que les possibilités qu’ils offrent pour les groupes de femmes.


Depuis l’arrivée des ordinateurs puis d’Internet dans les foyers et dans les milieux de travail, Co-Savoir s’intéresse à l’impact de ces technologies sur les femmes. Les TIC ont initialement été valorisées pour leurs possibilités en termes de réseautage, de communication et d’accès à l’information. Pourtant, les innovations technologiques ont également montré qu’elles creusaient – et creusent encore – des inégalités préexistantes. L’accès aux technologies est loin d’être égal au sein de la population; surtout, les usages varient d’un groupe socioéconomique à un autre, les personnes les plus vulnérables étant les moins susceptibles d’effectuer des tâches à l’ordinateur (voir notre dossier sur le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes).

En ce qui concerne les femmes, elles sont sous-représentées dans les métiers des TIC. Ce n’est pas qu’elles manquent de qualifications ou d’intérêt, mais, d’une part, cette sous-représentation engendre un manque d’attractivité du milieu pour les étudiantes, d’autre part, des biais inconscients les conditionnent encore trop souvent à penser qu’elles seraient moins compétentes que les hommes dans le domaine des nouvelles technologies. Plus grave encore, les risques associés à l’utilisation d’Internet sont un frein majeur à sa pleine appropriation par les femmes, celles-ci étant les principales victimes de cyberharcèlement et de violences en ligne.

Éléments de définition

  • Technologies de l’information et de la communication (TIC) : les TIC regroupent l’« ensemble d’outils et de ressources technologiques permettant de transmettre, enregistrer, créer, partager ou échanger des informations, notamment les ordinateurs, l’Internet, les technologies et appareils de diffusion en et en différé et la téléphonie » (UNESCO 2009)
  • Populations vulnérables : groupes qui, au sein d’une population, ont, en raison de facteurs sociaux et économiques, plus de risques de vivre des formes d’exclusion et de violence; on trouve entre autres les populations autochtones, les femmes, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les personnes en situation de précarité, les personnes racisées, les personnes immigrantes
  • Biais inconscients : raccourci mental involontaire, ancré dans un « préjugé positif ou négatif ou d’une conclusion hâtive qu’a une personne envers une autre personne, un groupe de personnes ou une situation » (Université de Sherbrooke)

Portrait statistique

  • Environ 22 % des professionnel·les en TIC au Québec sont des femmes
  • Depuis 2007, la proportion de femmes au sein du secteur diminue légèrement – actuellement, 82 % des diplômé·es sont des hommes, contre 78 % dans la main d’œuvre, ce qui va augmenter la concentration d’hommes à court et moyen terme
  • 1 femme sur 5 vit du harcèlement en ligne au Canada
  • 44% des femmes et des personnes de la diversité de genre de 16 à 30 ans sont visées par des propos haineux en ligne, dont majoritairement les personnes en situation de handicap, les personnes 2SLGBTQIA+, les personnes autochtones et les personnes noires

Les TIC dans les milieux communautaires et féministes

Les impacts différenciés selon le genre se reflètent dans les lieux de travail où les femmes composent la majorité des employé·es. C’est notamment le cas dans les centres de femmes et dans les organisations féministes de manière générale. Une étude menée par Co-Savoir en 2018 a ainsi montré que les travailleuses se sentent souvent peu à l’aise avec les TIC et moins confiantes dans leurs choix technologiques. Or, davantage d’autonomie dans ce domaine peut contribuer à augmenter l’impact du travail des groupes, à plusieurs niveaux.

Le travail en équipe

Plus l’équipe de travail comprend et s’approprie les technologies, plus son travail est efficace, aussi bien en terme de collaboration que de sécurité ou de performance financière. Cela passe notamment par le fait de maîtriser les outils de travail à distance, d’effectuer les bons choix technologiques pour répondre aux besoins de l’organisation, de résoudre des problèmes techniques ou ne serait-ce que de savoir comment communiquer avec la personne qui vient dépanner le système. Par exemple, faire le meilleur choix de service infonuagique sécurisé ou choisir des logiciels libres et gratuits ont un impact direct sur la protection des données et le budget de l’organisme. Or, pour faire ces choix, il faut être à la fois informée et formée. Dans le milieu du logiciel libre, seulement 10 % des personnes qui contribuent sont des femmes. Ce manque de diversité et de représentation renforce la perception que les outils libres ne concernent pas les femmes. Pourtant, y contribuer permet de se doter d’outils adaptés à davantage de réalités et de briser les biais qui se sont installés dans le codage même des programmes.

La mobilisation et la communication avec les membres

La communication à distance ne remplacera pas une activité d’éducation populaire féministe en présence. Cependant, les technologies permettent d’informer et de mobiliser pour un événement, autant que de rejoindre des nouveaux publics. Pour utiliser à leur plein potentiel ces outils, il faut toutefois en comprendre les limites et faire des choix permettant de créer des alliances. Par exemple, en fonction de l’outil choisi, on rejoindra ou non des personnes en situation de handicap, selon la façon dont l’accessibilité a été pensée dans la création même de l’outil. À cela s’ajoute la nécessité de maîtriser les paramètres de sécurité des plateformes et des comptes de réseaux sociaux pour éviter de subir un vol de données ou du cyberharcèlement.
Plus généralement, pour les travailleuses, comprendre et s’approprier les TIC permet de soutenir les usagères dans leur propre apprentissage des appareils et des services web, puisque les groupes de femmes accueillent aussi des femmes qui maîtrisent peu ou pas les TIC.

Les freins à l’appropriation des outils technologiques

Internet et les appareils connectés en général sont pensés, créés et gérés en grande majorité par des hommes. Ce manque de diversité a un impact sur les représentations que l’on se fait de ce domaine de pratique et d’expertise. Les femmes manifestent moins d’intérêt pour les formations et les emplois dans les TIC, utilisent moins les nouveaux outils développés, et risquent donc de se retrouver à la remorque de l’utilisation des technologies. La présence des femmes en ligne est également freinée par les risques de violences et de harcèlement associés à leur utilisation de l’espace numérique. Ces expériences malsaines créent un sentiment de méfiance, tant dans la vie personnelle que professionnelle.
Par ailleurs, les inégalités économiques de genre se manifestent dans les TIC, les écarts de revenu ayant un impact sur l’accès aux technologies. De plus, le temps disponible pour les loisirs sur écran est fortement relié aux obligations familiales et domestiques, qui sont encore majoritairement assumées par les femmes.

Femmes et TIC : et pour l’avenir?

Le domaine des TIC reflète des inégalités sociales présentes à bien d’autres niveaux, cependant, la transformation numérique rapide et globale pousse les constats encore plus loin. La démocratisation des appareils connectés nécessite des matériaux dont l’extraction a des conséquences négatives sur l’environnement et un impact décuplé sur les femmes, notamment des communautés autochtones.
Par ailleurs, les femmes et les personnes de la diversité de genre ont intérêt aujourd’hui à intégrer le domaine de l’intelligence artificielle. Il est en effet essentiel que les données générées ne soient pas le produit de biais inconscients et cessent d’omettre des pans entiers de la réalité de nos sociétés.
Enfin, la mission de transformation sociale des organisations féministes a tout intérêt à s’appuyer sur le potentiel des TIC, ce qui implique de renforcer l’appropriation de ces outils et l’autonomisation des groupes dans leurs usages.