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Politique d'éducation des adultes
Introduction
En 2002, suite à une série d'événements marquants, le Québec se dote de sa première Politique d'éducation des adultes et de formation continue. Ambitieuse, elle a pour objectif général de faire de la province une société favorable à tous les apprentissages, pour tous, sans barrière, tout au long de la vie. Malgré l'évolution des besoin de la société québécoise et les nombreuses demandes du milieu de l'éducation des adultes, cette politique n'a pas été mise à jour. Quel bilan peut-on en tirer ? Quelles ont été les actions du gouvernement en éducation des adultes depuis ? Quelles perspectives pour la suite ?
Politique et plan d'action
La politique en éducation des adultes définit les grands enjeux et les principaux objectifs du gouvernement en la matière. Elle fixe des priorités, nomme les principaux partenaires de sa mise en œuvre, définit des publics cibles, etc.
Le plan d'action est plus concret. Il liste les buts à atteindre et les actions à mener pour répondre aux objectifs de la politique. Le plan d'action nomme aussi les moyens et les ressources qui seront mis en œuvre.
En 2002, le Plan d'action en matière d'éducation des adultes et de formation continue a été publié dans cette optique, pour les années 2002 à 2007. Il était assorti d'une enveloppe budgétaire de 450 M$.
Ses orientations
Une vision humaniste de l'éducation
Cette politique québécoise a une visée généralement humaniste. Elle s'inscrit clairement dans le sillon de pensée de l'Unesco : l’éducation pour tous tout au long de la vie, le droit d'apprendre et le droit à l'éducation.
Cette vision large est quelque peu en rupture avec la vision fonctionnelle qui avait dominé jusqu'alors. Dans les années 1970 et 1980, le Québec (et le monde) vivait de grands changements économiques, technologiques et sociaux. En conséquence, la formation des adultes était vue comme un outil pour adapter la main-d’œuvre à ces changements. D’ailleurs, de nombreuses responsabilités en matière d'éducation des adultes étaient portées par les milieux de travail.
De plus, l'éducation des adultes était souvent considérée comme une éducation de « rattrapage » pour les personnes qui n'avaient pas complété un certain nombre d'années d'études.
Le droit d'apprendre
La Politique de 2002 a le mérite de replacer l'éducation et la formation des adultes dans une perspective plus vaste. Dans son introduction, elle a l'ambition de donner à la personne adulte le droit de se former à ce qu'elle désire, quand elle le désire, que ce soit pour trouver un travail, s'adapter à des changements de vie, se cultiver ou être une personne citoyenne active et responsable. La Politique a pour but d'ancrer une véritable culture de la formation au Québec.
Ces recommandations sont dans la lignée de celles prescrites par la Commission Jean (Québec, 1982) et par la Déclaration de Hambourg (UNESCO, 1997).
« L'éducation des adultes ne saurait être axée uniquement que sur des considérations d'ordre économique ; elle doit aussi viser l'épanouissement global de la personne. En permettant à l'individu d'acquérir à la fois l'autonomie personnelle et le sens des responsabilités, elle contribue ainsi au développement social, économique et culturel du Québec. » Rapport de la Commission Jean, p. 59
Cependant, il ne faut pas oublier que la Politique est le résultat d'une collaboration entre le ministère de l'Éducation et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale. La formation liée à l'emploi est mise de l'avant dans la Politique et fait même l'objet de la deuxième grande orientation.
Ses objectifs
La Politique insiste également sur la nécessité de rendre plus accessibles l'éducation et la formation pour les adultes. Elle souligne l'importance de favoriser l'expression de la demande de formation des adultes, qui doit avant tout répondre à leurs besoins.
Elle reconnaît que toutes les personnes ont besoin d'une formation de base et qu'il est nécessaire d' « éradiquer l'analphabétisme ». Enfin, elle souligne l'importance de maintenir et de rehausser les compétences des Québécois-e-s.
Les quatre objectifs que se donne la Politique sont :
- assurer une formation de base aux adultes;
- maintenir et rehausser sans cesse le niveau de compétence des adultes;
- valoriser les acquis et les compétences par une reconnaissance officielle;
- lever des obstacles à l’accessibilité et à la persévérance.
En 2002, cette politique était unique en son genre au Canada. Aucune autre province ni aucun territoire n'avait d'orientations écrites aussi précises en matière d'éducation des adultes ou de formation continue mais plusieurs provinces et territoires planchaient sur le sujet.
À qui s'adresse la Politique ?
La Politique donne les objectifs généraux du gouvernement en matière d'éducation des adultes. Elle intéresse donc tous les milieux. Comme elle le dit elle-même, elle a été conçue sur la base d'un « solide consensus ».
Des avis et mémoires ont été remis au ministère de l'Éducation à partir de 1997, puis des consultations publiques ont eu lieu, afin de recueillir les recommandations des organismes et des groupes concernés par l'éducation et la formation des adultes.
Pourtant, beaucoup d'intervenant-e-s ne se sentent pas concerné-e-s par ce « consensus ». En effet, la Politique ne fait pas, ou que peu, mention de certaines dimensions de l'apprentissage tout au long de la vie (formation professionnelle, éducation culturelle, éducation des adultes à l'enseignement postsecondaire, éducation populaire, etc.).
Elle reconnaît un grand rôle à jouer de la part des organismes d'alphabétisation populaire, dont le rôle (et le financement) doit être reconnu et consolidé. Mais elle place l'État au cœur de la mission éducative : la Politique cite entre autres le rôle des ministères de l'Emploi et de la Solidarité sociale, de la Culture et des Communications, de la Santé et des Services sociaux.
Pour ce qui est des publics visés par la Politique, toutes les personnes sont concernées. Cependant, elle reconnaît que certains besoins doivent être pris en compte d'une manière plus précise, soit les besoins :
- des personnes en situation d'analphabétisme ou peu scolarisées;
- des mères cheffes de famille monoparentale;
- des personnes immigrantes ou nouvellement arrivées, et spécialement des femmes;
- des personnes en situation de handicap
- des personnes autochtones
Dès sa publication, la Politique a été jugée insuffisante par des acteurs et actrices d'influence dans le secteur de l'éducation des adultes. En effet, on y fait peu mention de l'éducation populaire, de la formation culturelle ou encore de l'éducation à la citoyenneté.
En 2007, au terme des cinq années couvertes par le plan d'action, il fallait faire un bilan. De nombreux organismes du secteur de l'éducation des adultes et de la formation continue se sont alors exprimés sur les résultats atteints et sur les lacunes persistantes.
Les manques et les points faibles | Les acquis et les points forts |
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*Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d’alphabétisation.
Recommandations
Alors que devait paraître un nouveau plan d'action 2008-2013, de nombreux organismes, groupes ou fédérations publièrent des avis. L'objectif était d'inciter le gouvernement à ajuster le nouveau plan d'action en fonction des besoins relevés :
- poursuivre les interventions en formation de base et en francisation ;
- favoriser les formations à temps partiel ou à distance ;
- augmenter l'accessibilité à la Reconnaissance des Acquis et des Compétences ;
- favoriser la concertation et les interactions entre les fournisseurs de services, le milieu de travail et les institutions ;
- amener les petites et moyennes entreprises à participer à la formation des employé-e-s ;
- valoriser l'ensemble des secteurs de l'éducation des adultes, incluant l'éducation populaire ou encore l'éducation des adultes dans l'enseignement supérieur ;
- adopter une stratégie nationale pour l'accessibilité à la formation.
Certains organismes vont plus loin, en demandant d'élargir la Politique dans le but d'y inclure, entre autres, l'éducation populaire, l'éducation des adultes à l'enseignement postsecondaire et les institutions culturelles.
Finalement, ce nouveau plan d’action 2008-2013 n’a jamais vu le jour.
Depuis la fin du plan d'action, le gouvernement fait régulièrement des annonces pour promettre des avancées majeures, par exemple :
- Madame Marie Malavoy, alors ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, avait annoncé qu'en 2014 serait dévoilée une nouvelle Politique, un plan d'action et un important processus de consultation.
- En 2016, le gouvernement a bel et bien mené une consultation ministérielle en prévision de l’adoption d’une Politique sur la réussite éducative, qui a créé beaucoup d'espoir dans le milieu de l'éducation des adultes. Mais en 2017 la Politique de la réussite éducative (PRÉ) du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur a déçu. Il est vrai qu'elle reconnaît le principe de l'éducation tout au long de la vie et qu'elle aborde quelques enjeux d'éducation des adultes comme l'alphabétisation ou le développement des compétences numériques. Mais elle concerne d'abord les jeunes et les milieux scolaires, laissant de côté des pans et secteurs entiers de l'éducation des adultes. Elle ne peut être considérée comme un substitut à une réelle politique d'éducation des adultes interministérielle et globale.
Il y a un besoin clair et urgent d'une politique d'éducation des adultes actualisée. À la place, il y a eu plutôt des initiatives indépendantes prises par différents ministères, chacune contenant des éléments de politique d'éducation des adultes :
- 2016 : La Stratégie d'action en matière d'immigration, de participation et d'inclusion du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. Elle vise l'insertion sur le marché du travail, la formation aux droits et libertés, la formation interculturelle et la francisation des personnes immigrantes.
- 2017: Le Plan d’action concerté en adéquation formation-compétences-emploi de la Commission des partenaires du marché du travail. Comme son nom l'indique, elle est centrée sur les besoins du marché du travail et l'employabilité.
- 2017: Le Plan d'action interministériel, lié à la Politique gouvernementale de prévention en santé reconnaît l'importance d'améliorer la littératie en santé.
- 2018 : Le Plan d'action numérique en éducation et en enseignement supérieur du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, qui vise surtout à développer la formation au numérique dans les établissements d'enseignement supérieur.
- 2018: Le Plan d'action gouvernemental en culture, en lien avec la Politique culturelle Partout, la culture, qui contient quelques mesures visant à renforcer l'accès des adultes à des formations et à la culture.
- 2018 : La Stratégie nationale de la main-d’œuvre du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale, qui valorise elle-aussi exclusivement l'arrimage à court-terme aux besoins du marché de l'emploi.
- 2019 : La Stratégie québécoise en éducation financière de l’Autorité des marchés financier.
Ces différents éléments demeurent fragmentaires et ne remplacent pas une politique d'éducation des adultes. De plus, ces plans et stratégies sont presque tous centrés sur l'employabilité et s'inscrivent dans une vision économique de l'éducation des adultes.
Constatant l'absence de plan d'action depuis 2007, et face à l'éparpillement des initiatives gouvernementales en termes d'éducation des adultes, les organismes revendiquent désormais la création d'une nouvelle politique.
Depuis 2002, beaucoup de choses ont changé, mais il en reste à faire! Les résultats de l'enquête sur les compétences des adultes (PEICA) de 2012 sont là pour le confirmer. En plus de pallier les manques déjà identifiés de la Politique de 2002, la nouvelle politique devra aussi tenir compte des changements de la société québécoise actuelle :
- Intensification de la "société du savoir" et aggravation des inégalités systémiques qui en découlent
- Exigences élevées en littératie et en compétences numériques dans des domaine transversaux (rôle parental, santé, accès aux services gouvernementaux en ligne, etc.)
- Sous-financement des organismes qui travaillent en éducation des adultes (en particulier le secteur communautaire)
- Intégration des technologies numériques dans les milieux d'éducation des adultes
- Développement de l'auto-apprentissage et de l'apprentissage par les pair-e-s
- Importance de la reconnaissance des acquis et des compétences pour toutes les personnes, quel que soit leur niveau
- Intégration d'une perspective d'analyse différenciée selon les sexes intersectionnelle (ADS+), pour prendre en compte l'interaction des discriminations systémiques
Plus généralement, la nouvelle Politique devrait s'inscrire clairement au sein d'une approche sociale. Il y a en effet deux grandes approches de l'éducation des adultes qui s'opposent :
- l'approche économique : qui considère qu'il faut adapter l'offre de formation aux besoins du marché du travail et former les individus en entreprise.
- l'approche sociale : qui vise à développer le goût et le plaisir d'apprendre, favoriser le développement de la citoyenneté et l'adaptation des personnes dans l'ensemble de ses milieux de vie.
Dans son ensemble, la Politique de 2002 énonçait clairement ses aspirations sociales et humanistes. Cependant, le Plan d'action portait beaucoup sur la finalité économique des efforts à entreprendre. Il est possible que l'insatisfaction ressentie par de nombreux milieux concernés et par bien des intervenant-e-s provienne de cette contradiction. On peut également se demander si les moyens mis en œuvre (aussi bien structurels que financiers) étaient à la hauteur des objectifs à atteindre.
En 2016, la Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) s'est réunie et a produit des Recommandations sur l'apprentissage et l'éducation des adultes. Elles s'inscrivent clairement dans une approche sociale, définissant ainsi les objectifs :
"L’apprentissage et l’éducation des adultes ont pour but de doter les individus des capacités dont ils ont besoin pour exercer leurs droits et prendre leur destin en main. Ils favorisent le développement personnel et professionnel, aidant ainsi les adultes à participer plus activement à la vie de leur société, de leur communauté et de leur environnement. Ils favorisent une croissance économique durable et inclusive et créent, pour les individus, des perspectives de travail décentes. Ils sont donc essentiels pour réduire la pauvreté, améliorer la santé et le bien-être, et contribuer à la création de sociétés d’apprentissage durables." (UNESCO, 2016, p. 15).
Et la première recommandation de l'UNESCO est ..." que les États membres élaborent (...) des politiques globales, inclusives et intégrées pour l’apprentissage et l’éducation des adultes sous ses diverses formes" (Ibid., p. 16). Il est temps d'y donner suite.
Documents clés
- Politique gouvernementale d'éducation des adultes et de formation continue
- Plan d'action en matière d'éducation des adultes et de formation continue
- Déclaration de l'ICÉA sur l'élargissement de la Politique gouvernementale d'éducation des adultes et de formation continue [ressource électronique] : renouveler la Politique d'éducation des adultes, élargir le droit à l'éducation!
- Consultation ministérielle sur le renouvellement du Plan d'action en matière d'éducation des adultes et de formation continue : bilan et priorités de l'Institut de coopération pour l'éducation des adultes
- L'éducation des adultes à la croisée des chemins : plateforme électorale proposée aux partis politiques du Québec, dans le cadre de l'élection générale du 1er octobre 2018
- Revendications historiques pour une politique globale en éducation des adultes
- Pour une politique de la réussite éducative tout au long de la vie : mémoire présenté par l’ICÉA dans le cadre de la consultation sur la politique de la réussite éducative : L’éducation, parlons d’avenir
- L'éducation des adultes à la croisée des chemins : enquête de l'ICÉA sur les effets des décisions et des politiques des gouvernements du Québec et du Canada sur l'éducation des adultes (période 2010-2015) : rapport final
- Pour une politique globale d'éducation des adultes : document d’orientation de l’ICÉA en faveur de l’adoption par le gouvernement du Québec d'une nouvelle politique d'éducation des adultes
- Pour une nouvelle politique nationale de formation continue et d’éducation des adultes : mémoire de la Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d’œuvre (COCDMO)
L'avis des expert·es
A-t-on besoin d'une nouvelle politique en éducation des adultes?
Écoutez les réponses d'Anne St-Cerny, coordonnatrice de projets de Relais-femmes, et de Daniel Baril, agent de recherche et de développement de l'ICÉA.