L’alphabétisation au Québec : lever les obstacles, améliorer la reconnaissance

En 2002, le Québec s'est doté d'une politique en éducation des adultes et d'un plan d'action sur 5 ans. L'inscription officielle de la volonté de réduire le taux d'analphabétisme semblait placer le Québec en tête de liste des états proactifs en la matière. Depuis, le plan d'action n'a pas été renouvelé et le financement a connu des hauts et des bas. Malgré tout, le réseau de l'éducation des adultes est toujours fort, et le gouvernement semble prêt à (s')investir dans la cause.

Agir contre l'analphabétisme

Sur le terrain, les services ont souvent souffert de l'insuffisance du financement, mais les groupes populaires d'alphabétisation ont réussi à se maintenir à flots. Jusqu'en décembre 2016, le montant annuel global distribué pour la mission de base de ces groupes était de 12,8 millions. Or leurs besoins exprimés s'élèvent à plus de 22 millions de dollars. Des investissements supplémentaires viendront consolider en partie l'action de ces organismes. On se réjouit également du projet d'une politique sur la réussite éducative, qui devrait contenir des éléments sur l'alphabétisation des adultes.

 

Le droit à l'éducation tout au long de la vie, c'est bien dans cette optique que s'organise le Réseau de lutte à l'analphabétisme, une coalition d'une vingtaine d'organismes nationaux du Québec, qui veulent s'attaquer aux causes de l'analphabétisme et aux obstacles rencontrés par les personnes qui souhaitent en sortir.

Le Réseau est né de la nécessité pour le Québec de se doter d'une stratégie de lutte à l'analphabétisme. L'analphabétisme étant un problème complexe, l'idée s'est imposée pour le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) et ses partenaires d'emmener dans cette lutte une diversité d'acteurs concernés par l'éducation, la formation et l'employabilité des adultes, la lutte contre la pauvreté, etc.

Comme le souligne Caroline Meunier, analyste politique au RGPAQ, « il reste encore beaucoup de chemin à parcourir en matière de lutte à l'analphabétisme au Québec ». Les défis sur le terrain demeurent également nombreux, qu'il s'agisse de mieux faire connaître et reconnaître les organismes et leur travail ou encore de rejoindre les adultes peu alphabétisés. Les besoins de ces personnes sont pourtant bien présents.

 

La vision des groupes d'alphabétisation populaire, c'est l'autonomisation des personnes apprenantes, le développement de leur potentiel et leur inclusion sociale. « Grâce à cette vision large et une approche globale non formelle, les adultes qui participent aux ateliers des groupes d'alpha comprennent mieux les obstacles auxquels ils ont été confrontés tout au long de leur parcours scolaire et de vie, ils apprennent à agir sur ces causes et renforcent leur estime de soi », rapporte Mme Meunier.

Cet accompagnement sur mesure est long. Mais il est nécessaire car le renforcement de compétences multiples chez les personnes apprenantes se fait sur la base d'une meilleure confiance en soi et d'une plus grande confiance aux autres. En travaillant ainsi avec des personnes qui vivent de l'exclusion, les équipes à l'œuvre dans les groupes d'alpha font plus que des leçons de lecture et de calcul : elles offrent un milieu de vie et les aident à défendre leurs droits.

La stratégie de lutte à l'analphabétisme que le Réseau souhaite aider à mettre en place permettrait de doter le Québec de moyens pour agir sur les causes et les conséquences de l'analphabétisme. Une stratégie globale qui s'intéresse au décrochage scolaire, au retour aux études, à la formation en emploi, à l'insertion sociale, aux personnes à risque d'exclusion…

Compétences en littératie et emploi

Les dernières données québécoises du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) l'indiquent à nouveau : plus une personne est à l'aise avec l'écrit, plus elle est diplômée, et plus elle a accès au marché du travail. D'un point de vue strictement économique, l'alphabétisation et la formation des adultes sont un puissant facteur de croissance. D'un point de vue social, l'éducation pour tous tout au long de la vie permettrait de réduire les inégalités de santé, la pauvreté et l'exclusion.

 

Quelles barrières freinent la mise en œuvre d'une stratégie gouvernementale spécifique à la lutte contre l'analphabétisme? Selon Frédéric Lalande, Directeur général de la Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main d'œuvre (COCDMO), cet enjeu souffre d'être sous la responsabilité partagée de trois ministères distincts (MESS, MIDI et MÉES). Ces trois acteurs fonctionnent trop souvent dans des logiques administratives propres, alors qu'un arrimage solide est nécessaire, pour que l'éducation soit pensée en termes de continuum. Cette pensée était inscrite dans la Politique gouvernementale d'éducation des adultes et de formation continue de 2002, mais ne s'est jamais manifestée concrètement.

Frédéric Lalande souligne également que des mesures spécifiques sont encore à mettre en place pour répondre aux besoins des personnes les plus éloignées du marché du travail. Les organismes communautaires en développement de la main d'œuvre travaillent en s'adaptant complètement aux besoins de leur clientèle. « Reconnaître qu'il y a des besoins spécifiques selon que l'on accompagne une personne immigrée, une femme éloignée du marché du travail, une personne qui vit un problème de santé mentale… c'est ce que l'on fait, mais on manque de moyens car il n'y a pas de financement global pour ça. Il y a des initiatives locales, ponctuelles, qui permettent de monter un programme, mais il n'y a rien d'organisé à l'échelon provincial en dehors des mesures fortement normées d'Emploi-Québec. Or, pour obtenir des services en employabilité, il faut être admissible aux programmes d'Emploi Québec, mais ce n'est pas le cas de tout le monde », ajoute M. Lalande.

Perspectives

Au Québec, le réseau des groupes et organismes en alphabétisation et éducation des adultes est fort de son expertise et de sa longévité : l'Institut de coopération pour l'éducation des adultes (ICÉA) a 70 ans, le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec va bientôt fêter ses 40 ans et le CDEACF ses 35 ans! Quant à la Table des responsables de l'éducation des adultes et de la formation professionnelle des commissions scolaires du Québec (TRÉAQFP), elle a été fondée en 1975.

Tous ces organismes travaillent ensemble pour que l'éducation des adultes retrouve sa place dans la vision à long terme de la province. En effet, le Québec a déjà été un des endroits les plus dynamiques pour mettre en œuvre des programmes et des politiques qui favorisent l'éducation tout au long de la vie. Si, depuis quelques années, cet élan semble avoir ralenti, il n'est pas trop tard pour réagir et se bâtir un avenir dans un Québec inclusif.